SECESSION II - Egon SCHIELE

Publié le par Sophie ALATERRE

Autopsie des mains de l’artiste


Quelque chose comme

La main, sombre,

Vint avec les herbes

 

Paul Celan

 

La peau écorchée. Le cœur en sang. Les mains trop grandes pour y contenir le rêve d’un nouveau monde.

 

Voilà Egon Schiele.

 

Le funambule.

 

Le poète.

 

L’homme, lui, naît à Tulnn, en 1890, une petite ville proche de Vienne. Très jeune il commence à dessiner. Mais c’est la mort de son père, en 1905, d’une maladie mentale qui déposera déjà de la douleur sur les toiles à venir. J’évoquais dans la chronique précédente la volonté des artistes de la sécession de donner à voir le désir, la violence, le fantasme…Je crois que chez aucun d’entre eux (même Klimt) cette évidence n’a été aussi vraie que chez Schiele. L’artiste vit intensément, ses sentiments sont à fleur de peau, c’est la sa fragilité, sa force.

 

Les mains.

 

Ses mains.

 

Elles prennent tant de place dans ses autoportraits. Ecartées. Ecartelées.

 

Des mains trop grandes pour lui. Des mains trop grandes comme pour dire qu’il ne peut rien garder dedans, rien tenir, que la vie lui échappe, qu’il a beau, sur l’image, les agrandir, rien n’y fait, la peau est à vif, la douleur mise à nue... Leur taille est là, avec le corps, disproportionnée, elles vont chercher le spectateur dans ce qui peut le déranger, le gêner à l’intérieur. Elles s’imposent à l’artiste lui-même, comme pour dire la difficulté de créer, les gestes encombrés par trop de manque d’humanité autour de lui. Les mains des autoportraits de Schiele sont peintes dans des positions peu naturelles, des positions qui échappent et témoignent du malaise, de la tension extrême qui habite l’artiste.

 

Les mains

 

Ses mains

 

Ce sont elles qui posent le geste sur la toile, le poème sur la feuille, ce sont elles qui avouent l’impuissance et le cri d’un homme face à une époque qu’il sent trop étroite pour lui, trop petite, une époque qui lui a enlevée son père, une époque qui ne le comprend pas et le met en prison*…Les mains d’Egon Schiele sont pleines de son humanité, de son désir fou de pouvoir prendre la vie par la taille, de l’aimer…Les mains d’Egon Schiele fouillent notre mémoire, fouillent notre lucidité, nous forcent, en nous gênant à savoir ce qui compte vraiment pour nous, au plus profond…Les mains d’Egon Schiele sont un peu les notre, mal à l’aise, ne sachant pas quoi faire de leur peau, prenant des pauses, les mains d’Egon Schiele, pour peu que l’on s’y attarde, nous rendent à notre part d’humain.
 

* En 1912, Schiele fut incarcéré pour avoir distribué des dessins qualifiés d’« immoraux ».


Par Franck COTTET
 
 

Publié dans SECESSION

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